«Nanorruaq ! » Un ours, les yeux dans les yeux !

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04 fév 2013 «Nanorruaq ! » Un ours, les yeux dans les yeux !

 

 

– 32°, le temps est magnifique. Par cette température, les patins de l’attelage crissent sur la fine pellicule de neige. La visibilité est excellente. On distingue au loin les contours du Cap York. Les chasseurs croisent souvent des ours dans les fjords de ce secteur et c’est précisément vers eux que nous nous dirigeons.

Nous avons pris place sur les traineaux d’Olennguaq et Marcus. Sous les premiers rayons du soleil, les deux meutes d’une quinzaine de têtes nous arrachent du village pour une campagne de chasse qui devrait durer plusieurs jours.

Notre route longe le tombant turquoise d’un imposant glacier.

Le premier arrêt d’observation s’effectue à l’ombre d’un iceberg à trois sommets, à l’endroit même où Olennguaq a dépecé son dernier ours.

Les chasseurs montent sur la pyramide de glace et scrutent aux jumelles l’immense plaine gelée.  De longues et froides minutes se passent. «Immaqa nanoq ! » Peut-être un ours !

Mon ami n’en est pas sûr. Une fois les lignes démêlées, nous poursuivons dans cette direction. Le froid est mordant. Malgré le meilleur équipement, mes pieds me font souffrir.

Nouvel arrêt.  Nouveau tour d’horizon. Cette fois, c’est derrière un petit growler que nous nous arrêtons. Le petit iceberg s’élève à peine  de quelques mètres, mais cela est suffisant. Les deux hommes en reviennent un sourire aux lèvres.  «Nanoq ! ». Maintenant, ils en sont sûrs, c’est un mâle.

Avec une attention extrême, Olennguaq prépare les lignes de son attelage. Il regroupe ses six meilleurs attaquants, confectionne le nœud largable sous tension qu’il actionnera le moment venu, lors de l’assaut final. Le reste de la meute sera libéré en dernier.

Les préparatifs terminés, le cap est fixé : droit sur l’objectif. Au début, je ne parviens pas à le distinguer. «Il vient bien vers nous ! » dit mon ami en le pointant du doigt sur une tache jaune au milieu de l’étendue de glace. « Nanorrruaq !, nanorrruaq !, nanorrruaq ! » tel un cri de guerre à l’adresse de ses chiens. L’attaque est lancée.  Les cris se répètent, suivis du croassement du corbeau, fidèle compagnon de l’ours. Cet appel est censé le mettre en confiance. La meute accélère. Je me cramponne, une main agrippée au cordage, l’autre à la caméra.

L’ours avance toujours vers nous, le chasseur libère les premiers attaquants. Sans leur charge, ils ont tôt fait de nous distancer. Le reste de l’équipe, boosté par la vue de l’animal et de l’échappée, assure avec vigueur notre avancée. La tache jaune a grossi. Je distingue nettement ses formes. C’est un ours de bonne taille. Sûr de lui, il avance vers les premiers chiens. Moins d’une minute plus tard, stoppé dans son élan, il tourne sur lui-même pour protéger son arrière-train des crocs de ses assaillants. Nul abri pour se protéger. Olennguaq se retourne, Marcus est loin derrière. Aucune inquiétude ne se lit dans son regard, juste de la détermination. L’homme a l’habitude de ces confrontations. « Nanorrruaq !, nanorrruaq !, nanorrruaq ! »

À notre tour, nous fondons sur lui. L’attelage ne faiblit pas. Moins de cent mètres nous séparent de l’animal et de ses assaillants. Cinquante, trente, vingt mètres, je me vois précipitée dans un combat qui me dépasse. Quinze mètres je ne peux m’empêcher de lâcher un soupir. D’un geste précis le chasseur se défait du restant de la meute. Privé de son moteur, l’attelage finit sur sa lancée.

J’en ai le souffle coupé. Immédiatement, mon ami sort son fusil de sa pochette, s’allonge sur le traineau et met en joue. Dans sa ligne de mire, au milieu des aboiements, l’ours tente de se défaire de la folle farandole. Les chiens font écran. À la première ouverture, un coup de feu claque. Comme prévu, la balle touche la bête à la cuisse. Cela à pour effet de l’affaiblir, de diminuer ses ardeurs, et de par là même, protéger les chiens.

Pour l’instant, l’animal ne doit pas mourir. La horde perdrait vite le goût du combat. Nous sommes vraiment près. À tour de rôle, les chiens poursuivent leur assaut en mordant l’arrière de l’animal. Progressivement, le groupe se rapproche de nous.

L’ours vient de trouver un abri providentiel : le traineau !  Contre lequel, il vient protéger son postérieur. Positionné depuis le début sur le flanc arrière gauche du platelage, je me retrouve en première ligne caméra au poing, la horde et l’ours  face à moi. Seule la largeur du traîneau nous sépare.  Olennguaq est en retrait à cinq mètres de l’action sur ma droite. Marcus et Alain l’ont rejoint.

Il me demande de me positionner derrière lui. Le regard sur le moniteur de la caméra, prise par l’action, je ne l’entends pas. D’un bon, l’ours s’avance sur moi, tentant de franchir le platelage. Sa tête est énorme. Je crie. On me l’a dit par la suite. Je ne sais pas. Je ne m’en souviens pas. Je ne me rappelle que de ce regard et ses grands yeux dans lesquels je me suis un instant fondue.

Un coup de feu claque. Olennguaq vient de tirer, à bout portant et sans viser.

Pas de doute, je ne rêve pas! Je suis bien réveillée!

Malgré la rapidité de l’action, les chiens ont bien travaillé. Olennguaq affirme qu’il est important de les laisser se confronter de longues minutes avec leur proie. Pour lui, c’est la seule façon d’obtenir de bons chiens. Les simulations qui consistent à se déguiser avec une véritable peau sur le dos ne servent pas à grand chose, si ce n’est à les déstabiliser. L’odeur de l’homme reste perceptible.

Rétrospectivement, nous avons fait l’erreur de trop avancer le traineau. Sur cette banquise sans obstacle, le carnivore pour se protéger se l’est approprié. La leçon est retenue !

Pour autant, aucune chasse ne se déroule de la même façon. Le comportement de l’animal, son âge, le terrain, l’état de la banquise engendrent des confrontations uniques par lesquelles le chasseur perfectionne en permanence son savoir.

Les chiens de Marcus participent à la mêlée. Au final, c’est à une horde de près de trente têtes à laquelle l’ours est confronté. Tous ne sont pas de valeureux combattants. Certains s’éloignent et refusent le combat. Mais cela reste une minorité. Leur courage est souvent sans limites, et les accidents ne sont pas rares. Aujourd’hui, un des chiens de Marcus termine la rencontre avec une patte cassée. Il ne peut plus marcher. Les températures sont extrêmes. Nous sommes loin du village. Sans attendre, Marcus le sort du groupe, pointe son fusil sur sa tête et tire. L’animal s’écroule. Il restera là. Le harnais est récupéré, il peut encore servir.

Les meutes sont reformées et attachées à l’écart sur la banquise.

Les deux hommes sont heureux. Ils savourent l’instant, une tasse de thé à la main. Chacun commente la chasse telle qu’il l’a vécue. Ainsi et pour longtemps, ce récit sera de la sorte répété.

Un appel par téléphone satellite Iridium prévient la communauté. La nouvelle doit se savoir. Unis par l’histoire, ils le sont aussi sur le fruit de la chasse. D’un commun accord s’ils ramènent deux ours, la peau de celui-ci revient à Olennguaq, la suivante sera pour Marcus. Dans le cas contraire, elle sera partagée comme la viande, tel que le veut l’usage.

L’ours est mis sur le dos, les pattes figées vers le ciel. Vu sont poids ce n’est pas une mince affaire.

Méthodiquement, et avec une précision chirurgicale, le travail commence. Une heure plus tard, les quartiers de viande durcis par le froid sont regroupés sur les platelages et recouverts d’une large bâche sur laquelle vient prendre place le chargement initial. Avant de reprendre la piste, des morceaux de viande sont lancés à la volée. Une récompense que les gueules ouvertes ont tôt fait d’avaler.

Le soleil a laissé place à un crépuscule pastel où des nuances de bleu, de rose et de gris encadrent une lune presque pleine. Sous le poids de notre chargement, nous traçons de profonds sillons sur une neige poudreuse. Devant nous, un étrange chemin marque déjà la banquise. Une succession d’empreintes s’étirent vers le Nord Ouest. La taille des griffes ne laisse aucun doute. Deux adultes sont récemment passés par là. La chance serait-elle du côté des chasseurs ? Mais ici aussi, chaque jour mérite sa peine. Les chiens et les hommes sont fatigués. Nous poussons jusqu’à la pointe du cap à l’embouchure est du fjord du Cap York.  À l’abri d’un iceberg et au pied d’une imposante falaise, nous montons le camp.

Avec la fatigue, le froid se fait mordant. Les traineaux sont déchargés et positionnés côte à côte. Ils forment ainsi une large banquette. Recouverte d’une bâche de plusieurs peaux de rennes et de bœufs musqués, elle sera notre lit commun pour la nuit. Une rustique et lourde tente de coton vient coiffer cet assemblage. Sans plus attendre, dans un bruit de chalumeau, le Primus crache ses flammes bleutées. L’enveloppe de toile se réchauffe à la limite du supportable. La nuit est maintenant  tombée. Le thermomètre affiche 35° à l’intérieur et autant à l’extérieur, mais en dessous du zéro. Une fumée blanche s’élève vers les étoiles. La lune illumine la plaine blanche comme en plein jour. Pour sûr, demain sera encore une journée glacée et mouvementée. Il est temps de rejoindre la banquette et d’aller me blottir dans mon duvet. Contrairement au reste de l’équipe, je ne parviens pas à trouver le sommeil. Dans l’obscurité je vois des yeux. Ces yeux dans lesquels en un instant et à l’image de nos deux mondes, j’ai lu notre crainte commune.

Épilogue : La campagne a duré trois jours. Le lendemain, un autre mâle a été abattu sur un terrain identique. Cette fois le traineau est resté à bonne distance.

Les habitants étaient bien sûr présents à l’arrivée des traineaux, autant pour féliciter les chasseurs, entendre les récits, que pour récupérer leur part de viande comme le veut l’usage. En plus des images, Nathalie ramène un doigt de pied légèrement gelé, et une bonne frayeur.

Le documentaire a rencontré un vif succès sur la communauté de Nuussuaq.

Olennguaq nous dira n’avoir jamais été aussi près de l’action. À une largeur de traîneau, Nathalie a eu un véritable baptême du feu… envié par les Inuits eux-mêmes…