Juillet 2012
Depuis la nuit des temps, à la fin du printemps, lorsque sous le soleil permanent, la banquise se fracture, narvals et Inuit du Nord Groenland se retrouvent pour un étrange rendez-vous, au pied du Cap York.
Là se forment les premières ouvertures d’eaux libres, non loin du promontoire où les anciens avaient coutume d’établir leur campement pour attendre et guetter l’animal qui a inspiré la mythique licorne.
Sur l’embarcation motorisée qui nous emmène vers le cap, Qaaqqutsiannguaq, douze ans, observe son père préparer son kayak. Bientôt viendra le jour où il pourra se glisser dans l’hiloire, mais aujourd’hui, il lui faut encore attendre et observer.
La chasse au narval a des règles que l’on se doit de respecter. Un harpon mal lancé, et le filin risque d’accrocher la pointe du kayak et d’entrainer l’embarcation et le chasseur dans les profondeurs des eaux glacées.
Aujourd’hui, trois hommes traquent l’animal, les règles de partage sont connues de tous, et lorsque l’imposante masse d’une tonne et demi du cétacé est finalement hissée sur la banquise, chacun entame la découpe de son quartier.
La dent d’ivoire de deux mètres quarante, ainsi que la tête et le buste reviennent à Qaerngaaq, premier à avoir harponné l’animal.
Sur ce point, ses soixante et onze ans et son statut de doyen des chasseurs ne rentrent pas en compte.
Seul, le déroulement de l’action et ceux qui y ont pris part détermine le partage. C’est surtout pour le mattak (l’épiderme) et son petit goût noisette, bourré de vitamines, que le narval et les autres cétacés sont prisés.
Olennguaq nous invite à nous servir avec son couteau sur la nageoire caudale comme le veut la tradition. « Le mattak est la meilleure chose que la nature puisse nous offrir », nous dit-il.
« Rien à voir avec la nourriture artificielle que l’on trouve à la boutique. En Europe, les animaux vivent et meurent en cage. Ici, nous les respectons. Nous chassons juste pour les besoins de notre famille. »
Lorsque le 9 aout 1818, l’Amiral Ross rencontra en ces lieux, les premiers « Esquimaux » du Grand Nord (ceux-ci se pensaient seuls au monde), les narvals qu’ils chassaient fournissaient les vivres, mais aussi de quoi façonner les harpons et la structure de leurs traineaux.
Si cette chasse reste un héritage de ces périodes, elle est surtout une nécessité sur cette terre de glace.